Des Egyptiens que j’ai connus à Paris : L’ambassadeur Ali Maher, clé de l’Elysée sont à l’ambassade d’Egypte (10)
Les causeries du vendredi à Paris
Des Egyptiens que j’ai connus à Paris :
L’ambassadeur Ali Maher, clé de l’Elysée sont à l’ambassade d’Egypte (10)
L’ambassadeur disparu Ali Maher était un cas unique dans l'histoire de la vieille l’école de la diplomatie égyptienne. Il connaissait l’art de gérer les talents égyptiens en France, à l’intérieur et à l’extérieur de la mission diplomatique, dans le seul but qui le préoccupait entièrement : l’image de l’Egypte dans l’esprit des Français. Lorsque je le rencontrai la première fois – en 1996 – il me dit : « Je t’en prie, écris-moi pour tout nouveau livre sur l’Egypte paraissant à Paris, et s’il est important politiquement ou culturellement, appelle-moi directement ». L’ambassadeur organisait, pour les écrivains et journalistes français influents, soit un colloque au Centre culturel égyptien, soit un déjeuner privé, et parfois les deux à la fois. Il y avait à ses côtés un conseiller culturel brillant qui allait devenir ministre de l’Enseignement supérieur : Dr. Hani Helal, ainsi qu’un directeur exécutif génial du Centre culturel, Dr Mahmoud Ismaïl. Il y avait aussi un conseiller de presse professionnel, moitié égyptien moitié belge : Ali al-Qadi.
L’ambassadeur a réussi à unir les Egyptiens de France, et il avait autour de lui un groupe de diplomates particulièrement intelligents patriotes auprès desquels il a pu stimuler le zèle, en particulier l’ambassadrice Nevine Semika, l’ambassadeur Hicham al Zamiti, l’ambassadeur Ossama Tawfiq Badr, et Hatem Seif al Nasr, qui allait lui succéder, non seulement avec courage, mais aussi par sa capacité à reprendre l’héritage immense laissé par cet homme à Paris. Ils sont tous devenus de grands ambassadeurs d’Egypte dans les capitales du monde, réunissant avec brio la diplomatie et la culture, exactement comme l’avait fait leur maître Ali Maher.
Cet homme jouissait d’une grande autorité qui provenait de la valeur de son pays dans le cœur des Français, et il connaissait parfaitement cette valeur. C’est à cause de cette autorité qu’affluaient chez lui les ministres français, voire les présidents, et nous connaissons tous sa relation personnelle avec le président Jacques Chirac. L’ex-ambassadeur de France au Caire Pierre Hunt disait qu’il avait entendu un ministre français des Affaires étrangères dire que certains hauts fonctionnaires français des Affaires étrangères et de l’Elysée s’empressaient d’assister à la Fête nationale d’Egypte organisée par l’ambassadeur au mois de juillet car ils savaient qu’ils y rencontreraient des ministres ou des rédacteurs en chef avec qui ils avaient des problèmes, et qu’ils pourraient ainsi les résoudre dans les allées de l’ambassade d’Egypte. Pierre Hunt a dit que l’Elysée plaçait l’ambassadeur d’Egypte sur une liste « prestige » connue qui ne rejetait pas des demandes, et certains répétaient que les clés de l’Elysée se trouvaient à l’ambassade d’Egypte.
Pour savoir qui était Ali Maher, sachez qu’il me contacta au début de l’année 1998, en me disant : « Viens prendre le petit déjeuner avec moi" ». Le petit déjeuner était consacré à présenter sa conseillère spéciale pour la diplomatie culturelle, alors qu’on allait organiser de grandes célébrations en Egypte et en France pour la commémoration des 200 ans de la campagne de Bonaparte en Egypte dont nous avons changé le nom, à mon initiative, en « Horizons partagés histoire que je raconterai plus tard documentsàl'appui). C’était la jeune diplomate égyptienne Sérénade Gamil dont le père était le célèbre musicologue Soliman Gamil. Sérénade combinait l’intelligence, la beauté et la maîtrise du français . Elle joua un rôle central dans le de placement du pyramidon d’or sur l’obélisque de la Concorde. Si vous allez là-bas, vous trouverez le nom de l’ambassadeur Ali Maher sur l’obélisque. Sérénade se mit à organiser des forums et des colloques, et elle était à elle seule un lobby culturel au servicede son pays. Ainsi,vous savez maintenant comment Ali Maher choisissait ses collaborateurs.
En 2000, je lui ai suggéré une chose, délicate à l’époque, à savoir l’organisation d’un hommage égyptien spécial au psychiatre français d’origine juive alexandrine Jacques Hassoun. Cela eut lieu au centre culturel d'Égypte en mars 2000 . Avec Robert Solé, je fus chargé de la présentation de cette rencontre. Ce fut un événement unique qui n’allait se répéter que vingt ans plus tard au Centre culturel français d’Alexandrie, avec la psychiatre et écrivaine Nazli Farid, et la directrice de la médiatique Ghada Ayad, en présence de la veuve de Jacques Hassoun, Pascale.
Je conclurai avec une anecdote étonnante : en 2003, j’ai publié à Paris mon livre le plus célèbre « Cocteau l’Egyptien », et ce fut un événement littéraire fabuleux dans le Paris des lettres. Le dédicataire en fut Ali Maher par cette phrase " à Ali Maher, ambassadeur ès lettres" .
Cette dédicace prémonitoire fut comme une prophétie : Ali Maher acheva sa carrière au service de son pays à Paris pour devenir une étoile dans le ciel de la Bibliothèque d’Alexandrie. C'est ainsi qu'il conféra une dimension particulière puisée de son prestige . Et la dernière chose qu’il a faite avant de nous quitter, ce fut d’organiser un colloque sur les relations entre l’Egypte et la France, après quoi il m’invita, alors qu’il était au plus fort de sa maladie, dans un restaurant italien cossu près de sa résidence à Zamalek. Il me dit, alors qu’il faisait des efforts pour ne pas pleurer : « Passe mon bonjour à
Paris ». Mon cœur se serra alors, et il se serre encore aujourd’hui quand j’y pense…